Journal de la Société Nationale d'Horticulture de France
     En 1898 une visite des serres du Docteur Fournier, rue Saint James à Neuilly sur Seine, est organisée par la Société Nationale d'Horticulture de France à la demande du jardinier du Docteur Fournier, M. Gautier. Voici une partie du compte-rendu.
 
     Le but de la commission était de vérifier la parfaite végétation d'un genre d'Orchidées malheureusement trop délaissé et dont la culture offre tant de déboires que bon nombre d'amateurs y ont renoncé : il s'agit des Phalaenopsis.
     Les phalaenopsis sont certainement les plantes les plus belles de la famille des Orchidées; c'est du moins l'avis unanime de ceux qui ont admiré les plantes qui nous étaient présentées. Bon nombre d'horticulteurs cultivent les Orchidées pour la fleur coupée, mais bien peu d'entre eux s'étaient risqués à admettre ce beau genre dans leurs serres, le considérant trop difficile à maintenir en bon état.
     Le propriétaire de la collection semblait avoir mis une certaine coquetterie à convier pour la première fois ses collègues de la Société à admirer spécialement les plantes qui, de l'avis de tous, se montrent le plus rebelles à nos soins. C'est ce qui nous a engagés à demander à M. Gautier, leur cultivateur, quelques renseignements sur le traitement qu'il leur applique, traitement basé sur une connaissance approfondie de leurs besoins.
     S'inspirant des conseils de son maître qui, de son côté, ne néglige rien pour l'étude du mode de végétation de ce beau genre de plantes, M. Gautier a acquis rapidement une expérience dont nous sommes heureux de faire profiter nos lecteurs.
     " La plupart des phalaenopsis, nous disait M. Gautier, se reposent en hiver et fleurissent pendant la période du repos; leurs feuilles charnues remplissent, à leur égard, le rôle des pseudobulbes chez les autres Orchidées, et permettent à leurs racines de supporter une privation prolongée d'humidité ; ces racines sont d'ailleurs revêtues d'une couche subéreuse qui atténue l'évaporation de l'eau qu'elles tiennent en réserve. " Aussitôt la formation des dernières feuilles, dès que la végétation se ralentit, que les racines s'aoûtent, c'est-à-dire se recouvrent sur toute leur surface de la couche subéreuse dont il est parlé plus haut, je diminue les arrosements, je ne les supprime pas complètement pendant la formation des tiges à fleurs et l'épanouissement de ces dernières, mais je ne mouille qu'avec beaucoup de précautions.
     " La floraison est abondante et presque continue chez les Phalaenopsis amabilis, par exemple ; elle ne fatigue pas les plante si je fournis un peu d'humidité aux racines, une humidité atmosphérique régulière et de l'air pour en combattre l'excès.
     " L'air est un agent indispensable, qui m'a permis de montrer près de 1.200 fleurs, épanouies à diverses dates, sans la moindre tache résultant de la condensation de la vapeur d'eau.
     " Après la floraison ou après la coupe des fleurs pour les besoins de la maison, je supprime presque complètement les arrosages; les plantes sont tenues au repos presque complet je ne les mouille que lorsque les feuilles ont une tendance à se rider.
     " Les précautions à prendre varient suivant les individus: si une plante montre à l'automne une feuille à moitié développée je la transporte dans la partie la plus chaude et la plus éclairée de la serre et j'arrose jusqu'à complet développement de la feuille; je tiens au contraire immédiatement au repos une plante qui paraît avoir terminé sa pousse nouvelle.
     " Je rempote mes plantes, chacune à l'époque qui me parait convenable; je suis guidé pour cette opération, non pas par la date de l'année, mais par le développement des racines nouvelles et l'allongement des anciennes.
     " Toutes les plantes sont tenues inclinées sur leur support, position qui leur est naturelle et qui évite la stagnation de l'eau dans la partie engainante des feuilles.
     " La température, en hiver, ne s'élève pas au-dessus de 21 degrés pendant le jour et je la maintiens à peine au-dessous de 15 degrés pendant la nuit,
     " Les feux sont réglés de façon à ne pas dépasser cette température ; si, par suite de l'apparition du soleil, la chaleur dépasse 21 degrés, je donne de l'air en abondance et augmente l'humidité par des seringages sur les parois de la serre, les sentiers et les plantes qui forment un cadre aux Orchidées. "
     La collection de Phalaenopsis se compose d'une centaine de fortes plantes, que nous appelons en Horticulture de " véritables spécimens " ; les P. Schilleriana sont représentés par des sujets portant de 6 à 9 feuilles; les P. amabilis ont de 8 à 13 feuilles sur une seule pousse; les P. leucorrhoda, Lowii, Stuartiana, grandiflora et les variétés aurea, Lueddemanniana, Sanderiana, Esmeralda, antennifera, du Buyssoni, Dayana, ochracea, par des exemplaires plus petits, parce qu'ils sont depuis peu de temps dans cette collection d'élite.
     Si l'on songe qu'un Phalaenopsis bien cultivé développe deux à trois feuilles dans une année, on se rendra compte que la plupart des exemplaires ont des feuilles âgées de plus de trois ans, tour de force qui ne peut être exécuté que par un cultivateur qui connaît le secret de tous leurs besoins. Les membres de la commission et les autres visiteurs ont eu sous les yeux un spectacle qu'on chercherait vainement dans le pays même où ces plantes croissent à l'état sauvage.
     Exposées au vent, aux sécheresses prolongées, aux attaques des insectes, les Phalaenopsis, de même que la plupart des autres orchidées, sont plus belles dans nos serres qu'à l'état naturel, et nous ne croyons pas nous tromper en affirmant qu'elles sont plus belles à Neuilly que partout ailleurs.
     La serre qui les contient, et dans laquelle ils sont mélangés à bon nombre d'autres genres de plantes, est orientée du sud au nord. Elle est exposée franchement au soleil du levant, mais elle est ombragée du couchant par un rideau d'arbres, ce qui est gênant surtout en hiver.
Les plantes sont suspendues au-dessus des tablettes latérales, le milieu de la serre est occupé par un bassin d'où émergent des plantes aquatiques de toutes sortes, et au-dessus duquel est suspendue la collection de Népenthes la plus complète du continent.
     Ces Népenthes sont actuellement au repos, mais les nombreuses urnes qu'ils portent témoignent des soins appropriés qu''ils ont reçus.
La collection de Neuilly se compose de plantes très variées ; tous les genres d'Orchidées y sont représentés : un Aerides Sanderiana atteint 2 mètres de hauteur, avec cinq ramifications, les rares Vanda Sanderiana, Hookeriana, suavis , Rubyana, Renanthera Lowi, matutina, Storiei; Brassavola Digbyana: Laelia anceps et toute la série des formes à fleurs blanches de cette espèce; Sobralia Lindeni , xantholeuca; Eriopsis biloba et ruditobulbon ; Catlleya aurea et ses formes ; Cypripedium divers; Vanda suavis et tricolor, cultivés plus à froid que dans la plupart des collections, et ne perdant pas une feuille. La plupart de ces plantes sont d'introduction récente; d'autres ont dû, après un premier traitement mal compris, être remises en état.
     Il n'est pas douteux qu'un jardinier, quelle que soit l'expérience qu'il a acquise, peut se montrer hésitant dans le traitement d'une plante nouvelle, s'il n'a pas, pour le guider, des renseignements précis sur les conditions dans lesquelles elle croit à l'état sauvage.
M. Gautier Jardinier du Docteur Fournier. Une centaine de Phalaenopsis étaient cultivés par ses soins. Les jardiniers du Docteur Fournier étaient également des obtenteurs. M. Gautier et son prédecesseur M. Terrier ont obtenu au moins 22 hybrides enregistrés au nom de Fournier, Paphiopedilum et Cattleya.
 
Revue horticole
 

     A la même époque, la Revue Horticole dans un article rédigé par Charles Maron donnait les conseils suivant :
    
« A partir du 15 janvier, ou dans les commencements de février, époque où les Phalaenopsis auront donné leur maximum de floraison et seront débarrassés autant que possible de leurs fleurs, nous les tiendrons légèrement secs avec un petit abaissement de température, soit 17 à 18 degrés pour la nuit, sans élévation notable pendant la journée si l'on a recours à la chaleur artificielle, mais qui pourra sans inconvénients s'élever beaucoup plus si elle est provoquée par les rayons du soleil. On devra ombrer légèrement pendant les heures les plus chaudes de la journée.

     Vers la fin de février ou les premiers jours de mars, selon que le repos aura commencé un peu plus tôt ou un peu plus tard ( un bon mois suffit amplement), on commencera à «surfacer» ou à rempoter les plantes qui en auront besoin et on élèvera la température à 20 degrés la nuit avec quelques degrés en plus pendant la journée. L'ombrage devra également être un peu plus grand, c'est-à-dire commencer plus tôt et finir plus tard, mais il ne faudra pas perdre de vue que la grande lumière est aussi bonne aux Phalaenopsis qu'à la grande majorité des Orchidées ; à cette époque, un bassinage entre les plantes et dans toute la serre devra être fait au moins trois fois par jour, afin d'obtenir une grande humidité atmosphérique, qui, dans aucun cas, ne doit être concentrée, c'est-à-dire qu'un aérage abondant est nécessaire et cela à toutes les époques de l'année.
     A partir de ce moment, les racines se développent rapidement et les jeunes pousses ne tardent pas à apparaître; on devra alors veiller soigneusement à ce qu'aucune goutte d'eau ne séjourne à l'intérieur de ces nouvelles pousses.
J'ai adopté, pour prévenir cet inconvénient, une façon de cultiver ces plantes qui me donne d'excellents résultats : Je plante mes plus gros Phalaenopsis dans des tubes cylindriques et, au lieu de les placer verticalement, je suspends ces tubes horizontalement ; de cette façon les feuilles pendent d'une façon toute naturelle, ainsi qu'elles le font dans leur pays d'origine, et la pourriture dans le coeur de ces plantes n'est plus à craindre pendant tout l'été.
 
Atlas des Orchidées cultivées de Costantin
 

     Plante de serre très chaude et très humide. Parfois une serre entière basse est consacrée à leur culture. Dans certaines serres, ils se cultivent avec la plus grande facilité. Dans d'autres, ils ne fleurissent que dans un seul point de la serre, suspendus à une distance déterminée du verre, et nulle part ailleurs on ne réussit dans cette serre. Serre abritée contre les vents du nord. Saison de croissance de mars à fin d'avril, température jamais inférieure à 21° la nuit, et le jour entre 24° et 27°; ces températures maintenues jusqu'au milieu de novembre ; hiver, la nuit 15° à 18°, le jour 18° à 21°. On cultive de préférence en paniers, pas trop près du verre par crainte du froid ; ces plantes aiment beaucoup la lumière, mais sont susceptibles d'être brûlées par la lumière directe : ombrage léger avec toile claire est nécessaire l'été (parfois aussi l'hiver). Espèces requièrant le plus d'humidité et d'ombrage : P.speciosa, Lueddemanniana, Mariae, Boxalli, Mannii, Cornu-cervi, violacea ; Espèces requièrant moins d'ombrage et d'humidité : P .amabilis, Aphrodite, Sanderiana, Schilleriana, Stuartiana, X leucorrhoda et var. casta*. On peut cultiver en pots et sur étagères, mais alors près du vitrage ; on cultive aussi sur morceaux de bois, en attachant avec un fil de laiton ou de fer galvanisé et en ajoutant du sphagnum aux racines. Dans le cas où l'on emploie le panier, le drainage de morceaux de tessons de un centimètre carré doit le remplir presque jusqu'au bord, on met un compost formé d'une couche épaisse de sphagnum, mélangé de terre de bruyère et de charbon de bois ; surfaçage avec sphagnum. D'autres cultivateurs (plus nombreux) nemploient que du sphagnum au-dessus du drainage (pas de charbon notamment). Arrosage de la serre (sentier, tablettes, etc..) de manière à avoir presque la saturation, 2-3 fois par jour ; l'hiver cet arrosage est réduit à une fois par jour et jamais appliqué directement ; l'été on arrose le sphagnum, mais jamais le feuillage ; beaucoup d'eau pendant la période de végétation, car ces plantes n'ont pas de pseudobulbes et évaporent beaucoup. Ventilation importante, mais ne faire entrer que de l'air réchauffé (ventilateur près des tuyaux de chauffage) ; si l'air extérieur est trop froid, on aère pas car il y a trop de risques. Multiplication très difficile, car les Phalaenopsis se ramifient rarement ; certaines espèces produisent des bourgeons vivipares sur les inflorescences (P.Lueddemanniana, Schilleriana et Stuartiana fréquemment ; moins fréquemment : P.esmeralda, Aphrodite, intermedia). D'autres espèces donnent des plantes adventives sur leurs racines ( P.Stuartiana, Schilleriana, deliciosa). Ces plantules adventives laissées sur le pied mère jusqu' ce qu'elles aient développé des racines, alors on détache et on met sur petite bûche. Ennemis : thrips (thysanoptère) (heliothrips haemorrhoidalis) ( insecte linéaire noir, tête globuleuse, yeux saillants, antennes livides à l'exception des deux premiers articles et du sixième ; abdomen noirâtre, deux derniers anneaux rougeâtres) est nuisible ; on lave les feuilles à l'éponge ou on emploie la poudre de tabac ; si nécessaire on fait fumigation la nuit ( barres de fer rouge plongées dans du jus de tabac), en veillant à ce que les feuilles ne soient pas mouillées. Blattes nuisibles, car elles mangent les racines : on emploie la pâte phosphorée. Limaces recherchées avec assiduité : pièges de feuilles de laitues ; on met un morceau de coton autour des inflorescences pour les arrêter. Fourmis très nuisibles : on recommande le poison de fourmi appelé Bally Killrain.

*Les noms d'espèce issus de noms propres commençaient à ce moment par une majuscule.

Illustration dans l'Atlas des Orchidées cultivées de Costantin
 
American Gardening et Orchid Review
 

     Approximativement à la même époque que Costantin qui les citent, l'American Gardening par l'intermédiaire de l'Orchid Review (Vol. XII août 1904 N°140) décrivaient ainsi la patrie des Phalaenopsis et les conséquences culturales qu'il fallait en tirer.

     Les Phalaenopsis sont natifs surtout des îles de l'archipel Malais : ils croissent sur les rochers et les branches ou les troncs des pentes ombragées des collines ou des cratères des volcans éteints. Il y a une saison sèche et une saison humide ; pendant la première, il y a des alternances d'averses et d'éclats de soleil. Pendant le jour, la température est près de 37° à 38° ; elle s'abaisse la nuit et, à la pointe du jour, elle est de 20° environ. Le secret de la culture des Phalaenopsis est la réglementation de la température et de l'humidité pendant la saison de croissance, réduisant celle-ci quand l'état adulte est atteint. Pendant le repos, on doit donner juste ce qu'il faut pour entretenir l'humidité du sphagnum. Il faut éviter darroser trop tard pendant le jour, la transpiration est empêchée par la nuit dans la rosette des feuilles ( danger de pourriture des feuilles). L'arrosage sous forme de pluie donne à la serre une température trop basse ( tache des feuilles). Dans la nature, les plantes sont plus petites qu'en culture : elles n'ont pas d'humidité dans la rosette des feuilles, car elles sont en position renversée ( rosette et inflorescence en bas). Le minimum de température en hiver est de 18° pour le P .grandiflora. Les plantes traitées convenablement croissent d'année en année et les épis donnent entre quarante et cent fleurs ( P.Schilleriana). Quand la floraison est finie, il est utile de ne pas couper trop la tige florale car il peut repartir un deuxième épis floral. Pour le traitement à l'arrivée, on met les plantes sur un treillage, sur une bâche un peu chaude, dans une serre froide, orientée du nord au sud, le verre étant ombré mais l'éclairage suffisant ; on laisse ainsi jusqu'à l'apparition d'un petit bourgeon. Quand il est assez développé, on met en pots ou paniers avec des tessons et on fixe solidement avec du sphagnum. On arrose deux fois par jour, la deuxième fois suffisamment tôt pour que le feuillage soit sec à la tombée de la nuit. Quand il fait frais ou froid, il est suffisant d'arroser le sol et les côtés de la serre pour avoir une température convenable. On chauffe, en raison de la température extérieure jusqu'en juin, et on reprend dans les mois froids. On ne fait des appels d'air que lorsque la température dépasse 35°.

     L'Orchid Review, tome V, page 77 nous apprend comment se pratique la culture des Phalaenopsis à New York, dans les collections de Dinsmore, sous la direction de M. Goodier.

     La serre est orientée du nord au sud ; la bâche centrale est consacrée à des plantes de serre chaude; les Phalaenopsis sont suspendus, en paniers. Chaque année, en mai, aussitôt que les plantes commencent à faire leurs feuilles, on enlève toute la vieille mousse et on lave les tessons et racines avec une grande force par l'eau d'une seringue ; puis on remet des tessons, du charbon et on finit par une couche de sphagnum. Tous les jours ensoleillés, on bassine la mousse et les paniers en donnant jamais trop d'eau. Si la mousse s'altère on la renouvelle, mais on ne la lave pas en l'enlevant comme au printemps. Quand l'épi floral commence à se développer, il faut plus d'eau. Après que les épis floraux sont coupés, l'arrosage est suspendu pendant quelques semaines, on ne donne que ce qu'il faut pour que les feuilles ne se fanent pas et restent turgescentes.-Chaleur, humidité et ombrage sont les choses principales : environ 21° la nuit, 26° avec la chaleur du feu durant le jour. La serre est arrosée sur le sol deux fois par jour, en prenant soin de jeter de l'eau derrière les tuyaux d'eau chaude. En été, il n'est pas nécessaire de temps arroser, car les feux sont éteints pendant quatre mois : un bon arrosage du sol dans l'après midi semble suffire. Il n'y a pas de ventilateurs de côté ou à la base; l'aération est faite par ventilation au sommet, quand le verre est à 32°. La serre est fortement ombragée : au printemps une bonne couche de blanc avec huile et térébenthine est fixée au verre ; en mai, une claie d'ombrage est placée contre le verre ; on l'y laisse tout l'été jusqu'en octobre, mais le blanc n'est jamais lavé ; par les pluies, il s'enlève peu à peu et il faut le renouveler en mars. Une forte température pendant 10 jours (37,7° du verre à l'ombre) paraît avoir contribué a une belle floraison l'année suivante.

 
ORCHIDS-GROWER'S MANUAL
     la septième édition de l'Orchids Grower's Manual en 1894 consacre plus de 20 pages aux Phalaenopsis, en cliquant sur ce lien vous pourrez consulter les quelques feuillets consacrés à la culture.